La ceramique au XVIIIe siecle : le point sur la faience...


Nota :
Cette exposition temporaire est dûe à Monsieur Michel Petit, Conservateur en Chef du Patrimoine. Depuis de nombreuses années, Michel gère au sein du Service Régional d'Archéologie d'Ile de France les autorisations données pour les chantiers de fouille, en particulier les fouilles de sauvetage. Spécialiste du Bas Empire romain, il a effectué de nombreuses fouilles telles que Pompéi ou le Grand Louvre à Paris. Collectionneur depuis 30 ans de faïences, il est devenu une référence dans ce domaine. Il nous a fait l'honneur et le plaisir de se livrer à ce jeu de questions-réponses sur la faïence au XVIIIème siècle. Sans être exhaustif, cet article vous présente une reflexion de fond sur le sujet. Vous contaterez que, comme bien souvent, nous autres pratiquants de l'Histoire Vivante, nous nous sommes laissés aller à des débordements quant aux pièces que nous présentons sur nos tables.

Bonne lecture ! Pour toute question ou information complémentaire, écrivez-nous (100associes@free.fr).


Quels types de céramiques utilisait-on en France au XVIIIe siècle ?

On utilisait quatre types principaux de céramiques destinés à des usages divers en fonction de leurs capacités d'étanchéité, de résistance aux fortes chaleurs et à recevoir un décor plus ou moins élaboré. Il s'agit essentiellement de la céramique dite « vernissée », des grés, de la porcelaine et enfin de la faïence dite « stannifère », qui comprend trois catégories principales soit la faïence dite « classique », la « terre à feu » et la « terre d'Angleterre ».

Comment distingue t'on ces céramiques les unes des autres ?

Le grès, qui apparaît dès le XIVe siècle, est fabriqué à partir d'une argile silico-argileuse bien spécifique, cuite à une très haute température. Après cuisson, la pâte, qui présente une texture très fine, est pratiquement vitrifiée et donc non poreuse. Sa couleur peut-être grise ou beige. L'ajout de sel de mer dans le four pendant la cuisson donnera au grès une surface lisse et brillante, mais la couleur naturelle de la terre restera apparente. L'étanchéité remarquable des grès fait que les formes représentées sont destinées essentiellement au service et au stockage des liquides (chopes, cruches, bouteilles, gobelets...). On peut citer deux grandes régions productrices, les pays rhénans (Alsace, Westerwald...) célèbres notamment pour leurs grès de couleur grise décorés au bleu de cobalt, et la région de Beauvais qui a produit des pièces à pâte gris clair ou beige à couverte brun clair ou brun violacé.

Vient ensuite la poterie dite « vernissée. Il s'agit d'une terre cuite, recouverte d'une glaçure vitrifiée à base de plomb, teintée en jaune, en vert, plus rarement en violet sombre tacheté de brun, ceci à l'aide d'oxydes métalliques. Ce type de céramique apparaît en France dès le XIe siècle. On la fabrique encore aujourd'hui dans certaines régions de France comme par exemple à Soufflenheim (Alsace). Elle est encore relativement abondante dans la première moitié du XVIIIe siècle mais est alors fortement concurrencée par la « terre à feu », plus étanche et plus résistante à la chaleur. Les pièces encore représentées à cette période sont essentiellement les plats creux, les terrines, les marmites, les poëlons, les pichets, les réchauffoirs, les pots à graisse ou à beurre et les « coquemars ». Ces derniers sont des pots à cuire à fond plat ou à trois pieds dotés d'une anse de préhension à poucier. Cette dernière forme va tendre à disparaître à partir du milieu du XVIIIe.

En haut à gauche : ensemble de céramiques vernissées (région lyonnaise - XVIIIe)
En haut à droite : ensemble de grès brun au sel (Bretagne et Beauvaisis - fin du XVIIIe)
En bas à droite : service à chocolat en porcelaine de Boissette (région parisienne - vers 1778)
En bas à gauche : ensemble de grès gris au sel (Alsace - fin XVIIIe / début XIXe)

La porcelaine, quant à elle, est originaire d'Extrême-Orient. Sa pâte, très fine, est constituée d'un mélange de kaolin, de feldspath et de quartz cuit à une température de 900°. Le biscuit ainsi obtenu, blanc et déjà vitrifié, est alors recouvert d'un enduit à base de feldspath. Le tout est alors recuit à une température de 1450°. C'est ce dernier traitement qui va donner à la porcelaine sa dureté qui la rend inrayable, même avec un outil de métal. A noter également l'extrême finesse des parois ainsi qu'une certaine translucidité. D'abord importée d'Extrême-Orient, notamment de Chine, via la Compagnie des Indes, la porcelaine va faire son apparition en Europe, notamment en Allemagne (Meissen) puis en France (Vincennes, Saint-Cloud, Mennecy et Boissette). La porcelaine restera cependant, pendant tout le XVIIIe siècle, un produit de luxe, réservé à la noblesse et à la grande bourgeoisie.

Quant à la faïence dite « stannifère », elle peut se définir comme une terre cuite à pâte argilo-calcaire poreuse recouverte d'un émail blanc opaque. La faïence, contrairement à la porcelaine, n'est donc pas translucide, mais totalement opaque. On détermine deux types de fabrication.

La cuisson dite « au grand feu » et celle dite au « petit feu », qui apparaît dans certaines manufactures vers le milieu du XVIIIe siècle.

La cuisson au « grand feu » consiste à recouvrir la pièce, légèrement cuite, d'un émail liquide réalisé à base de sels d'étain. En séchant cet émail devient pulvérulent et c'est sur celui-ci que le peintre va appliquer son décor à l'aide d'oxydes métalliques qui vont se trouver « absorbés » par l'émail. La pièce est ensuite cuite à une température avoisinant les 850°. L'émail va se vitrifier à la cuisson, recouvrant ainsi la pièce d'une couverte blanche imperméable, plus ou moins épaisse et brillante. L'inconvénient de cette méthode consiste essentiellement dans la pose du décor. Les erreurs commises lors de la réalisation de celui-ci sont irréversibles. De plus les couleurs sont limitées car ne peuvent être choisis que des oxydes pouvant résister à cette température de cuisson. Il s'agit de l'oxyde de cobalt, du jaune d'antimoine, du violet de manganèse, du vert de cuivre et du rouge de fer. Ce dernier est celui qui résiste le moins bien aux hautes températures. Il tourne souvent au rouge-brun et « bulle » à la cuisson.

La cuisson au petit feu permet la réalisation de décors plus fins et surtout de couleurs nuancées et plus douces, notamment dans les tons allant du rouge vif au violine en passant par toutes les gammes de roses et ceci grâce à l'emploi du « Pourpre de Cassius », obtenu par un précipité de sels d'or. Cette nouvelle technique consiste à peindre le décor sur un émail stannifère déjà cuit. Les couleurs, liées à un fondant incolore, sont stabilisées grâce à une troisième cuisson réalisée à basse température.

A savoir également que la grande majorité des pièces de faïence étaient réalisées à l'aide de moules de plâtre. Pour les plats et les assiettes, le moule était univalve et ne concernait que le rebord et l'intérieur de l'assiette. Ce moule était posé sur le tour puis on le recouvrait d'une galette de pâte que l'on imprimait fortement. Le revers de la pièce était alors façonné au tour à l'aide de gabarits et d'éponges. L'ensemble était mis à sécher lentement dans un lieu frais et bien ventilé, puis la pièce était démoulée, émaillée et prête pour la cuisson. Les pièces de formes plus complexes ou asymétriques (soupières, terrines, bouquetières...) étaient réalisées dans des moules à deux valves. Des boules de pâte étaient imprimées fortement sur les deux valves qui étaient ensuite appliquées l'une contre l'autre. Une fois séchée, la pièce était démoulée. C'est à ce stade que l'on procédait au « collage » des anses, des becs ou des garnitures en fort relief.

En haut à gauche : la terre cuite, appelée « biscuit » est prête à recevoir l'émail stannifère
En haut à droite : le « biscuit », trempé dans l'émail cru a été recuit de manière à faire « fondre » celui ci ce qui lui donne sa couleur blanche caractéristique
En bas à gauche : plat à décor de « petit feu » - Le rose centrale est peinte au « Pourpre de Cassius »
En bas à droite : plat à décor de « grand feu », les couleurs sont moins vives et moins lumineuses

La faïence stannifère dite « classique » a cependant le désavantage de mal résister aux fortes chaleurs.

Un second type de faïence a donc fait son apparition: « la terre à feu ». Cette faïence à usage culinaire dont la pâte était enrichie avec des argiles réfractaires (ce qui lui donne après cuisson une couleur rouge brique), était le plus souvent recouverte, à l'intérieur, d'un émail stannifère classique, et extérieurement d'un émail brun ou moucheté de violet. Cet émail vitrifié était réalisé notamment à l'aide d'oxyde de manganèse.

Ces « terres à feu » ne pouvaient cependant pas être mises au contact du feu lui-même. On les utilisait donc pour les cuissons lentes au four, près du foyer ou sur le potager... Les formes représentées sont les terrines, les écuelles à bouillon, les marmites et soupières ainsi que les plats. Cette production, surtout fréquente au XVIIIe siècle nous est cependant mal connue. En effet elle a été assez peu étudiée, compte tenu de son caractère utilitaire (et donc de son taux de destruction assez élevé), mais aussi de son peu d'intérêt esthétique, comparé à celui des faïences stannifères classiques.

Enfin, n'oublions pas qu'outre la faïence blanche, il existait des faïences à émail stannifère coloré. Cet émail pouvait être teinté en jaune ou en bleu par ajout d'oxydes métalliques comme le jaune d'antimoine ou le bleu de cobalt. Les faïences stannifères à fond jaune étaient surtout produites par les manufactures du Sud de la France comme Moustiers, Marseille ou Montpellier ; celles à fond bleu par des manufactures du Nord ou du Centre comme Rouen, Saint-Omer et Nevers. Ces productions restent cependant minoritaires par rapport à celles des faïences blanches « classiques ». Signalons enfin les pièces en « trompe l'oeil » réalisées en ronde-bosse pour la facétie ou le plaisir des yeux et dont certaines manufactures comme Strasbourg se font fait une spécialité à partir des années 1750.

En haut à gauche : écuelles à bouillon en « terre à feu » - Meillonnas - Fin du XVIIIe
En haut à droite : pot à eau et sa cuvette à émail stannifère coloré en jaune - Moustiers - Seconde moitié XVIIIe
En bas à gauche : pichet à émail stannifère coloré en bleu - Rouen - milieu du XVIIe
En bas à droite : terrine en trompe l'oeil représentant une perdrix sur un lit de feuillage - Strasbourg - Seconde moitié du XVIIIe.

Quelles sont les origines de la faïence stannifère ?

L'origine de la faïence stannifère remonte au VIIIe siècle et plus particulièrement aux potiers musulmans de l'empire abbasside. Dès le XIIIe siècle, cette technique fait son apparition dans les grands centres potiers de l'Espagne musulmane mais également en Italie et en Sicile. Sa production est attestée dans le Sud de la France (région de Marseille) vers la fin du XIIIe siècle mais la diffusion de ce nouveau produit restera limitée à l'Europe méditerranéenne jusqu'au début du XVe siècle. A partir de cette date, cette production, notamment les faïences espagnoles à décor métallescent, va connaître un succès considérable dans toute l'Europe mais reste réservée à une élite qui passe commande de pièces ornées de ses armoiries.

L'Italie, va prendre le relais à partir de la fin du XVe siècle et devenir rapidement, grâce à certaines innovations techniques et surtout décoratives, le principal fournisseur de la noblesse et de la riche bourgeoisie. Il s'agit avant tout d'une production de luxe qui trouvera son apogée vers le milieu du XVIe siècle. C'est à cette époque qu'apparaissent les premières productions françaises à même de concurrencer les ateliers italiens. Elles proviennent essentiellement de Lyon, de Montpellier et à partir du début du XVIIe siècle, de Rouen et Nevers qui peuvent être considérés comme le berceau de la faïence française.

C'est le dernier tiers du XVIIe siècle qui sera le témoin de l'expansion et d'une certaine « démocratisation » de la faïence française, qui cependant se heurte toujours à la concurrence des productions italiennes et surtout hollandaises (notamment Delft). C'est aux idées de Colbert en matière de politique économique (réduction des importations et encouragement des productions locales) et, à moindre titre aux « édits somptuaires » de Louis XIV (fonte de la vaisselle en métal précieux pour renflouer les caisses de l'Etat) que l'on doit surtout ce développement spectaculaire.

Malgré ces progrès considérables, c'est surtout le XVIIIe siècle qui va marquer l'apogée de la faïence stannifère, non seulement en France, mais dans toute l'Europe. Cette « explosion » est essentiellement due à des transformations socio-économiques déterminantes, générant l'apparition d'une nouvelle clientèle dont le pouvoir d'achat s'affirme de plus en plus et dont les goûts, d'abord empruntés à l'aristocratie, font se faire plus variés. Les fonds blancs sont par exemple de plus en plus appréciés et les décors monochromes ou polychromes font se faire, en conséquence, plus discrets et surtout moins couvrants. Progressivement et tout au long du XVIIIe siècle, la faïence stannifère passera du statut de produit de luxe à celui de produit de consommation courante.

La production va devenir semi industrielle (utilisation de moules, d'ouvriers spécialisés dans telle ou telle étape de la fabrication ...) et l'on compte en France, vers 1750 plus d'une centaine de faïenceries, les plus importantes étant : Rouen (Normandie), Strasbourg (Alsace), Moustiers et Marseille (Provence), Lille et Saint-Amand-les-Eaux (Nord), Nevers et Meillonnas (Bourgogne), Niederviller et Lunéville (Lorraine), Bordeaux et Samadet (Sud-Ouest), Sinceny (Picardie), Sceaux (région parisienne), Aprey (Champagne) ... Si les plus petits ateliers ne diffusaient leurs produits que sur le plan local, les plus importants exportaient dans toute la France et à l'étranger. Rappelons pour mémoire qu'en 1786, presque 60% de la production des dix-huit faïenceries rouennaises était exportée vers l'étranger. Compte tenu que la faïence, de par sa nature même, est un matériau fragile, son transport sur de longues distances était assuré par voie fluviale et/ou maritime.

Quelle est la nature de cette production ?

Aux XVIe et XVIIe siècles, la production est limitée aux carreaux décoratifs (sols et murs), à la vaisselle d'apparat liée au service de la table (plats, aiguières, salières) ou au décor de la maison (plaques et vases décoratifs). L'« apothicairerie » est également bien représentée avec les chevrettes et les pots à pharmacie (albarelli) Le répertoire des formes reste donc réduit.

Le début du XVIIIe siècle est marqué par une nouvelle conception de la faïence qui devient à la fois un élément de décoration privilégié et un produit à caractère utilitaire. De très nombreuses formes nouvelles sont créées pour le service de la table. Il s'agit des assiettes individuelles, des bols à bouillon, des rafraîchissoirs à verres ou à bouteilles, des huiliers-vinaigriers, des tasses et des vases verseurs destinés au boissons « exotiques » (thé, café, chocolat), des boîtes à épices à trois compartiments (sel , poivre, cannelle), des saucières, des pichets à bec verseur (eau, lait, cidre), des soupières et des terrines... L'équipement de la maison est également bien représenté avec les fontaines, les cache-pots, les encriers, les parures de cheminées, les statuettes décoratives, les jardinières à bulbes, les cuvettes et brocs de toilettes, les chandeliers... les pots de chambre ainsi que les bidets ! On trouve également de nombreux objets religieux comme les bénitiers, les statuettes du Christ, de la Vierge ou de Saints Patrons. On a presque tout fabriqué en faïence, y compris des manches de couteaux ! Quant aux décors qui ornent ces faïences, ils sont, soit réalisés en camaïeux (bleu, vert, jaune ou rouge) ou en polychromie de grand feu ou de petit feu. Il y a une grande variété dans les décors qui vont de simples semis de fleurettes stylisées à ceux, exubérants, de style rocaille, en passant par les fleurs fines au naturel, inspirées des planches de botanique allemandes du XVIIe siècle .

Existait-t'il une hiérarchie dans les types de production ?

Bien évidemment. On oublie trop souvent qu'il existait de la faïence blanche, non décorée ou ornée de simples filets. Elle constituait le « pain quotidien » des manufactures puisqu'elle constituait en moyenne plus de 70% de leur production. Quant à la faïence décorée, son prix dépendait de la qualité du décor (et donc du temps nécessaire à le réaliser), mais aussi de son appartenance ou non à une production en série figurant au catalogue de la manufacture. Les commandes personnalisées, souvent ornées des initiales ou des armoiries du client, étaient bien sûr plus coûteuses. Enfin il faut préciser que ces faïences à décor plus ou moins riche, étaient le plus souvent vendues sous forme de services complets comprenant, selon les cas, entre 200 et...2000 pièces. Seule la faïence blanche ou peu décorée mais aussi parfois les surplus et les séries retirées des catalogues étaient vendus à la pièce.

On peut citer pour exemple de cette répartition des différents type de production le cas de la manufacture de Meillonnas. À la fin du XVIIIe, celle-ci produisait : 33% de faïence blanche, 15% de faïence peu décorée, 13% de faïence très décorée et 40% de « terre à feu » à émail brun.

Comment explique-t'on alors la rareté des faïences blanches ou des « terres à feu » sur le marché de l'Antiquité ainsi que dans les Musées ?

Faïences blanches et « terre à feu » étaient, comme nous l'avons déjà souligné plus haut, utilisée au quotidien. La plupart d'entre elles ont été brisées à l'usage. On ne se donnait pas la peine de les réparer. Un fële, une grosse égrenure et la pièce était jetée. Il n'en est pas de même pour la faïence décorée qui servait beaucoup moins souvent et courrait donc moins de risques. La pièce dépareillée, si son décor était jugé « esthétique », était conservée pour la décoration de la maison et par exemple attachée au mur. À noter également que pour les collectionneurs, c'est la qualité décorative de la pièce qui comptait et qui compte encore. Les faïences XVIIIe qui sont parvenues jusqu'à nous sont donc le résultat, à la fois d'une sélection « naturelle » et d'une sélection qualitative. Les collections de faïences visibles aujourd'hui chez les collectionneurs et dans les Musées ne reflètent donc pas la réalité des choses et sont, par voie de conséquence, sources d'erreurs pour les non-initiés.

Peut'on reconnaître l'origine d'une faïence à la nature de son décor ?

Oui, mais ce n'est pas toujours évident compte tenu du fait que les manufactures se copiaient entre elles et suivaient l'évolution de la mode, notamment celle définie par les grands ornementistes du moment. De même, des peintres ou des décorateurs, transfuges de telle ou telle manufacture, transmettaient certains « secrets » de fabrication ou des cartons à une faïencerie concurrente qui s'empressait alors d'imiter plus ou moins servilement la première .

Certains types de décor sont cependant restés exclusifs à une manufacture. C'est notamment le cas pour le décor dit « au chèvrefeuille » que l'on ne trouve qu'à Rouen ou celui en imitation « faux-bois » propre à Niederviller.

D'autres sont communs à plusieurs manufactures. Par exemple, le décor dit « à la Bérain » (1700-1750), réalisé en camaïeu de bleu et le décor « à grotesques » (1750 - 1780). Ils sont caractéristiques des ateliers du Midi et du Sud-Ouest de la France et notamment de Moustiers. Il n'apparaissent que très rarement à Rouen, Nevers ou Strasbourg. De même, le décor polychrome dit à « la haie fleurie » est caractéristique des productions de Rouen et de Sinceny. On peut citer pour dernier exemple de « copier-coller » le décor floral fin naturaliste de petit feu initié par Strasbourg vers 1748, suivi par les autres ateliers de l'Est de la France et par Sceaux vers 1750, puis par Marseille à partir de 1760. On peut constater le même phénomène avec le décor dit « de lambrequins. Ce décor, inspiré par celui des porcelaines extrême-orientales est introduit à Rouen à la fin du XVIIe ou il sera produit jusque dans les années 1730. Il sera repris, à partir des années 1720 par Lille,Strasbourg, Marseille, Moustiers puis par Sinceny vers 1745. Il disparaît des catalogues vers 1750.

Malgré ces difficultés, l'attribution d'un décor, d'un type largement répandu, à une manufacture précise reste possible. Plusieurs éléments rentrent en compte : la qualité de l'émail (il est par exemple brillant et d'un blanc onctueux à Moustiers, plus sec et légèrement bleuté à Rouen), la couleur de la terre (rougeâtre à Rouen, jaune pâle à Nevers ...), la disposition et le tracé plus ou moins fin du décor, enfin les nuances de couleur employées (notamment le vert)... Enfin certaines pièces portent, au revers, une marque de fabrique ou des initiales de peintre ce qui permet souvent d'identifier la manufacture d'origine. Citons l'exemple de la marque PH (Paul Hannong, Stasbourg - 1748-1756) ou LO pour Moustiers (fabrique Laugier-Olerys ,1740-1760).

En haut à gauche : décor de grand feu polychrome « au chèvrefeuille » - Rouen, vers1730 - 1740
En haut à droite : décor de grand feu en camaïeu bleu dit « à la Bérain » - Moustiers vers 1720 - 1750
Au centre et à gauche : décor de grand feu polychrome « à grotesques » - Moustiers vers 1750
Au centre à droite : décor de grand feu polychrome dit « à la corne et à la haie fleurie »-Sinceny, vers 1750
En bas à gauche : décor de petit feu polychrome de « fleurs fines au naturel » - Strasbourg, vers 1770
En bas à droite : décor de grand feu en camaïeu bleu de « lambrequins » - Strasbourg, vers 1750

Qui achetait de la faïence au XVIIIe siècle ?

L'essentiel de la clientèle était constitué, notamment à partir des années 1750, par la bourgeoisie, les commerçants et les artisans. Le plus souvent, ces familles plus ou moins aisées selon les cas disposaient de deux services, l'un en faïence blanche destinée à l'usage quotidien, le second, plus richement décoré, servait pour partie à la décoration et n'était utilisé que dans certaines occasions. Ce phénomène est d'ailleurs encore observable en France au siècle dernier et encore aujourd'hui même. Pour ce qui est des milieux les plus modestes, notamment les petits artisans et les paysans, la faïence reste, au XVIIIe siècle, et comme en témoignent les inventaires après décès, un produit de luxe. Ils ne possédaient que quelques rares pièces de forme (soupières, pichets, salières...) et parfois une dizaine d'assiettes, mise en valeur sur un vaisselier de bois blanc. La faïence est donc devenue, au XVIIIe siècle un bien de consommation courante, mais reste toujours, pour certains, un produit de demi luxe. Les nobles quant à eux utilisaient également la faïence, mais lui ont préféré la porcelaine, ceci notamment à partir des années 1760-1770.

Ces faïences étaient-t'elle exportées vers la Nouvelle-France ?

Les fouilles archéologiques, menées Place Royale à Québec ainsi que dans des sites un peu plus modestes comme Louisbourg ou Fort Michilimackinac, montrent que la faïence française est bien présente avec près de 75% des tessons de faïence représentés. Il faut en effet savoir que l'importation de faïence française, vers l'Amérique du Nord ou les Antilles, était quasi exonérée de taxes douanières. Celles-ci peuvent être estimées à un taux de 0,8 à 1,5 pour les faïences françaises contre 8 à 17 pour celles qui sont importées de Hollande et notamment de Delft.

Malgré ces facilités à l'importation, il faut admettre que la faïence stannifère classique était réservée, en Amérique du Nord, à une clientèle relativement fortunée. Aux coûts de fabrication et de transport intérieur devaient êtres rajoutés ceux d'un transport maritime à longue distance, soumi aux aléas de la nature (tempêtes et naufrages), de la politique (conflits européens), ainsi que les bénéfices des indispensables intermédiaires. On estime ainsi que le prix d'une pièce, vendue en France, était pratiquement doublé lors de son négoce de détail en Amérique du Nord.

Par ailleurs et compte tenu de la fragilité de ce matériau, il n'était sans doute réservé qu'à une population sédentaire. Il est bien évident que les personnes ou familles amenées, par leur activité, à se déplacer fréquemment ne pouvaient, raisonnablement et, sauf cas exceptionnel, s'encombrer de ce type d'objets relativement coûteux et dont le caractère « futile » est évident. On devait leur préférer des objets en matériaux moins fragiles comme le bois, l'étain, le laiton et la tôle de fer.

Il est à noter également que la « terre à feu », dont nous avons déjà parlé plus haut, était commercialisée au Canada puisque de nombreux tessons de ce type ont été découverts lors des fouilles menées sur les sites d'occupation française.Bien qu'aussi fragile que la faïence classique elle était cependant plus utilitaire et bien moins coûteuse. En 1786 par exemple la « terre à feu » était payée en France 7 livres le mille contre 80 pour la faïence.

Il ne faut cependant pas oublier que la faïence stannifère n'était pas la seule céramique à être importée. Les fouilles montrent en effet la présence de grès du Beauvaisis et de grès allemands ou alsaciens ainsi que de céramiques vernissées. La porcelaine est également présente mais à moindre titre.

Pouvait-on trouver, sur une même table et pendant le même service, de la vaisselle décorée dépareillée ?

Il s'agit d'une question assez difficile compte tenu que les inventaires après décès ne précisent que très rarement les origines et les types de décors des faïences mentionnées. Lorsque c'est le cas, le terme employé est « à la façon de » . Par exemple un inventaire parisien, dressé en 1754, nous donne une liste de 153 pièces de faïence (assiettes, plats, légumiers, pots à eau, saucières...) suivie de la mention « ... le tout joliment décoré à la façon de Rouen... ». Ceci implique que ces pièces portaient sans doute un décor, sinon similaire, tout au moins du même type. L'étude de certaines peintures du XVIIIe, montrant des scènes de genre ou de repas, semble également indiquer que l'on évitait apparemment les mélanges de styles.

Les fouilles archéologiques d'ensembles clos nous donnent également des renseignements intéressants sur ce thème. Un exemple particulièrement intéressant est celui de Dourdan (50 km au Sud de Paris). À l'occasion d'une fouille archéologique a été découverte une latrine du milieu du XVIIIe siècle dépendant, à l'époque, d'une auberge à l'enseigne du « Faisan Doré ». Cette latrine avait servi de dépotoir et contenait un ensemble de 132 faïences, dont 2 piles d'assiettes brisées. La fouille a montré que ce mobilier avait été rejeté dans cette latrine de maniere synchrone c'est-à-dire à la suite de la chute d'étagères ou d'un vaisselier (une scène de ménage n'est pas exclue mais l'histoire ne va pas jusque là !)

Nous avons donc ici le reflet de la composition totale ou partielle d'un service de table à un moment précis. Cet ensemble était composé apparemment de trois services distincts originaires respectivement, pour les deux premiers du Nivernais, et pour le dernier de Rouen, soit :

Qu'en est-il des assiettes creuses et des verres à boire ?

L'assiette creuse qui correspond à notre assiette à soupe d'aujourd'hui n'apparaît que vers l'extrême fin du XVIIIe siècle. On lui préférait jusqu'alors l'écuelle dite « à bouillon », sorte de petit récipient hémisphérique doté, au niveau du rebord, de deux appendices de préhension diamétralement opposés. Ces écuelles, appelées aussi « bols à oreille », étaient souvent munies de couvercles destinés à éviter au potage de refroidir. Elles étaient fabriquées en faïence stannifère « classique », en « terre à feu » et en céramique « vernissée ». À noter une bonne adresse pour les amateurs, celle des potiers de Biot (Alpes maritimes) qui fabriquent toujours aujourd'hui des écuelles de ce type. Il s'agit de pièces en terre cuite vernissée jaune, verte ou brune, très proches des modèles du XVIIIe.

Notons à ce sujet une anecdote relatée par un grand homme, François-Marie Arouet dit « Voltaire », dans une lettre du 11 octobre 1759 : « ... nous avons dîné l'autre soir chez ce bon Dormont. Il est heureux que nos bouillons aient été couverts car, sans celà, comme il parle toujours, à son habitude, autant qu'il respire, nos potages en auraient été froid.»

Venons en aux verres à boire. Les faïenceries des XVIIe et XVIIIe siècles ont fabriqué des tasses, mais jamais de verres à boire. À noter cependant une tentative anecdotique de fabrication de petits verres à eau de vie à Niederviller durant la période du Comte de Custine soit vers 1771 - 1775. Ces petits récipients, dont de rares exemplaires sont conservés, ont la forme d'une chope miniature en forme de tonneau décorée en trompe l'oeil.

Les couches les plus aisées utilisaient donc principalement le verre (verres à pied, gobelets cylindriques, flûtes, laissant apprécier la couleur du vin...), et, à moindre titre, les métaux précieux (argent, vermeil) qui étaient surtout réservés à la fabrication de gobelets dits « de voyage », placés dans des étuis en cuir renforcé. Les personnes plus modestes utilisaient l'étain (gobelets à pied ou à fond plat,) et le grès (gobelets, chopes). On connaît également, pour cette période, des gobelets en corne dont le fond est constitué d'une rondelle de bois.

Autre anecdote intéressante sur ce plan. Elle nous vient, là encore d'un personnage connu, Mme la marquise de Sévigné. Elle écrit en 1695 : « ...cet homme, aussi grossier que l'était sa figure, nous servit un nectar, digne des princes, dans de méchants gobelets d'étain qu'il avait eu le mauvais goût de faire marquer à son nom. Des venises, dont il avait profusion, auraient été, vous m'en croyez, plus acceptables».

Ce n'est qu'au début du Second Empire que l'on verra apparaître un haut verre à pied en faïence, le « Mazagran », destiné à la consommation du café. Il faut donc conseiller aux amateurs d'histoire vivante, travaillant sur le XVIIIe et qui, croyant bien faire, utilisent ce type de récipient (j'ai pu le constater encore récemment) de l'écarter définitivement de leur table.

Quant était t'il des militaires ?

Là encore tout était sans doute question de statut social et donc de grade. Nous savons que le Comte de Crillon, commandant le régiment de Bretagne, passa commande en 1766, aux ateliers de Rouen, de deux services de 250 pièces chacun « à ses armes » destiné l'un à « l'ordinaire » de ses officiers et le second à celui des sous-officiers. Rien apparemment pour les simples soldats. Il est également intéressant de remarquer que, dans cette commande, il est indiqué que ces services « ...devront être livré dans quatre malles ferrées avec leurs paillons à façon de suivre le régiment ... »

Autre exemple, la fouille d'une latrine du casernement des Suisses sur l'emplacement de l'ancien château des Tuileries à Paris, a permis de démontrer que les membres de ce régiment d'élite disposaient, à la veille de la Révolution, d'un important service en faïence, spécialement fabriqué à leur intention. Enfin une assiette en faïence de Moustiers du milieu du XVIIIe, conservée dans une collection privée, montre un décor de drapeaux, croisés à des canons et des tambours , le tout surmonté d'armoiries pouvant être celles de Louis Gaucher de Châtillon, grand fauconnier du Roi, et de la mention « vive le Royal Roussillon ». Au cas ou un Châtillon aurait possédé ce régiment, on peut penser qu'il s'agit, là encore, des éléments d'un service destiné cette personne ou à ses officiers et sous officiers. J'avais à peine fini d'écrire ces lignes que ce cher Thierry Gilles de la Compagnie des Cent Associés, après quelques minutes de recherche sur le net, m'a confirmé que le Duc Louis-Gaucher de Châtillon a commandé ce régiment de 1761 à 1762, soit pendant environ un an ! Il est en effet décédé en mai1762.

Il est intéressant de noter que cette assiette est une production de série, peut être fabriquée à la suite de la victoire de Fontenoy. De nombreux modèles de cette assiette sont connus et nous avons donc affaire ici à une production de série reprise et personnalisée. On s'est donc contenté de rajouter au poncif existant les armoiries de Châtillon cantonnées de deux branches et de l'inscription régimentaire. Etant donné qu'il s'agit d'une production de grand feu et Moustiers n'ayant jamais utilisé le rouge dans ce type de production, cette couleur qui sert officiellement de fond aux armoiries de Châtillon a été remplacée ici par de l'orange.


Collection Particulière

A t'on toujours produit de la faïence stannifère ?

On a toujours produit de la faïence en France depuis le XVIe siècle, et ceci encore aujourd'hui, mais la faïence stannifère a bien failli disparaître à la fin du XVIIIe siècle, suite à la concurrence des produits anglais, et notamment de ceux du Staffordshire (Cream-Ware) appelés en France «terre d'Angleterre» .

Il s'agit là d'une faïence dont la pâte est constituée d'argile blanche et de silex calciné. La pièce, une fois cuite, était recouverte d'un émail plombifère transparent. Quant au décor, il a été d'abord peint à la main puis remplacé, à partir des années 1780, par un décor imprimé par transfert, plus rapide à réaliser. Ces faïences, cuites au charbon de terre, donc moins coûteuses à la fabrication et produites de façon industrielle, vont très vite être exportées vers toute l'Europe. Le succès de ce nouveau produit, dû à son faible coût mais aussi à une certaine évolution de la mode, va d'ailleurs entraîner certaines manufactures françaises, notamment lorraines, à démarrer une nouvelle production, imitant cette « terre d'Angleterre ».

Le traité de Vergennes, établi en1786 entre la France et l'Angleterre, va porter un nouveau coup important aux faïenceries françaises traditionnelles en favorisant le libre-échange entre les deux pays. Ces grandes manufactures vont décliner et leur production va baisser de plus de 50% en quelques années. La période la plus dure se situera entre 1788 et 1789 puis à partir de 1792-1793, qui marquent le début des années noires de la Révolution. Beaucoup de grandes manufactures ne s'en relèveront pas.

La Révolution française ne marque cependant pas la fin de la production faïencière, mais plutôt celle de la grande majorité des belles fabrications, caractéristiques des styles Louis XV et Louis XVI. Ensuite ... c'est une autre histoire !

Michel PETIT
Conservateur en Chef du Patrimoine

 

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