Pabos, home sweet home.

Suite à des recherches sur le Net, nous nous sommes apperçu que notre choix initial d'établissement virtuel des membres de La Compagnie des Cent Associés posait problème. Je m'explique : sur une carte du cours de l'Ohio, j'avais repéré une jolie rivière qui portait le doux nom de la Rivère aux Dames Blanches et sur son cours un petit point marqué "La Demoiselle". Je trouvais ça très joli, surtout pour y installer un groupe où les filles sont nombreuses. Sauf que, la Demoiselle en question est le nom d'un chef Natif plutôt belliqueux et s'il apparaissait sur la carte, c'était pour indiquer qu'il valait mieux éviter l'endroit !

Donc, nous voilà partis à la recherche d'un nouveau lieu où poser virtuellement nos bagages. Dans le milieu de la reconstitution, on trouve beaucoup de représentants de Trois-Rivières, Québec, Montréal, d'Acadie ou des différents postes plus ou moins fortifiés de la Nouvelle France mais rien ou presque sur la Gaspésie. Pourtant, "la lèvre inférieure de l'embouchure du Saint Laurent" fut la première a accueillir Jacques Cartier. Nos petits doigts agiles ont courru sur le clavier à l'affût d'un endroit sympathique susceptible d'accueillir des habitants sans domicile. Et Pabos est apparu comme l'endroit idéal : une baie presque fermée constituant un port naturel, trois rivières encore classées au XXIème siècle comme parmis les meilleures pour le saumon. Et en plus son nom est rigolo, ce qui ne gâche rien. En fait Pabos est une déformation d'un terme Micmac "Pabok" signifiant "eaux tranquilles". Le bonheur, quoi.

Voici l'histoire de Pabos.

Au commencement...
Le 14 novembre 1696, la seigneurie de Pabos fut concédée à Louis René HUBERT, premier huissier du Conseil Supérieur de la Nouvelle France. Elle était désignée ainsi " la rivière du Grand Pabo autrement dit la rivière Duval, située dans la Baie des Chaleurs avec 2 lieues et demi de front du côté de l'Est de la dite rivière et demi lieue du coté de l'Ouest de la rivière du Petit Pabo icelle comprise sur pareille profondeur" (cliquer ici pour le texte intégral de la concession). Pour mémoire, 1 lieue égale environ 4 km et la concession acquise par Hubert s'étendrait aujourd'hui entre Petit Pabos au nord et Pabos Mills au sud.

Hubert ne met pas cette concession en valeur et il ne semble pas y avoir eu d'établissement. Ses fils Charles et Jean la vendent à Pierre LEFEBVRE DE BELLEFEUILLE, "interprete en langue abenaquise entretenu par le Roi", le 22 octobre 1729. Mais c'est son frère, Jean-François qui va prendre en charge la concesion. Jean-François Lefebvre de Bellefeuille (1670 – vers 1744), est né à Sillery. Au début du 18e siècle, il s'installe à Terre-Neuve où il exploite un poste de pêche. L'arrivée des Anglais en 1713 le force à partir, probablement pour l'île Royale (du Cap-Breton). Gagnant la région de Gaspé, il devient donc le seigneur de Pabos. Il est ainsi le seul seigneur à habiter de façon permanente une seigneurie de cette région sous le Régime Français. Avec ses fils Georges et François, il y exploite une pêcherie de morue sèche quasi à l'abri des contrôles gouvernementaux. Le gouvernement, en effet, a d'autre souci que cette région éloignée et lorsqu'on se plaint que leur pêcherie tend à dépasser les limites de la seigneurie, les Bellefeuille ne sont guère inquiétés.

Le plein essort...
La seigneurie de Pabos est alors la seule en Nouvelle-France dont l'activité principale était la pêche, principalement la morue. Les censitaires doivent verser le onzième de leurs revenus aux seigneurs et louent des lots de plages aux pêcheurs saisonniers venus d'Europe. Ce qui ne va pas sans mal étant donné que ces pêcheurs menaient des campagnes de pêche depuis des lustres dans les parages. Par exemple, le 21 mai 1730, Berdoulin, capitaine basque qui venait pêcher librement aux abords de la concession depuis 1717, se heurte au Seigneur de Bellefeuille qui lui indique fermement le lieu de pêche qui sera dorénavant le sien. En 1743, les Bellefeuille semblent avoir retiré un certain droit de pêche car Caudran, pêcheur basque revient d'une campagne avec un certificat signé par Bellefeuille "gouverneur du dit lieu". Au total, une quarantaine de bâtiments à l’Anse-aux-Canards abritent les pêcheurs. Sur l’Île Beauséjour, située en plein coeur du barachois, Jean-François Lefebvre de Bellefeuille installe un manoir où il vit richement avec sa famille.

Entre 1667 et 1763, les principaux foyers de métissage le long du Saint-Laurent et de ses rivières sont Oka, Pabos, la Mission Saint-François, le Sault de la Chaudière, le district de Trois-Rivières, la rivière Restigouche, la Jeune Lorette et la Côte Nord. Citons un exemple d'habitant de Pabos : Gabriel ALBERT est né à Coutances en Normandie en 1738. Il vient au Canada et travaille à Pabos comme pêcheur. Il s'y marie en 1751 avec Genevieve BOUTHILLIER, fille de Joseph BOUTHILLIER et d'Angélique GIRAUD dite SAINT JEAN. Les parents d'Angélique sont Gabriel GIRAUD et la veuve ROUSSEAU, une Micmac.

Les résultats économiques et sociaux d'envergure de la seigneurie portent leurs fruits même sur le plan politique et en 1737, Georges sera nommé sous-délégué de l'Intendant pour la Gaspésie. François prendra la relève du titre en 1749.


Le paradis, on vous a dit ! Plage de Pabos Mills

La fin...
A la fin de l'année 1758, l'établissement de Pabos est ravagé par le Capitaine Bell de l'armée de Wolf. Ses troupes incendient "27 bonnes maisons et 17 de moins bonne qualité, environ 3500 quintaux de poissons, une très bonne barque chargée de poisson. On détruisit les filets de pêche et une certaine quantité de sel. On mit le feu aux magasins qui étaient assez grands, remplis de vêtements, de cognac... quarante chaloupes furent détruites... Les troupes rembarquèrent laissant les miséreux habitants dans les bois, dépossédés de tout".


Pabos en 1767

Après les événements de 1758, Bellefeuille se réfugie à Trois-Rivières et cède le 28 mai 1764 la seigneurie à Jacques TERROUX, commerçant à Québec avec qui il était associé depuis le 16 mai, pour la somme de 7 000 livres. Mais Terroux fait faillite en 1765 et vend la seigneurie à Frédéric HALDIMAND, 4ème gouverneur anglais de Québec. Lorsque celui-ci visite sa seigneurie en novembre 1765, il ne trouve que pêcheries ruinées. En 2 ans, il reconstruit la maison seigneuriale, les magasins et à nouveau quelques pêcheurs viennent s'établirent. Selon une carte établie par Samuel Holland en 1767, on note la maison seigneuriale, les magasins du Seigneur, un magasin à sel, des échafauds à morue, un belvédère, deux puits d'eau vive et les maisons des habitants. Sur l'île de Beauséjour, l'église et le cimetière.
En 1796, les enfants de Frédéric Haldimand vendent le seigneurie à Félix O'Hara mais l'activité économique se déplace au nord-est vers le site de l'actuelle Chandler. Le site de Pabos restera vide jusqu'en 1872-74 ou l'on verra de nouveau un moulin et quelques maisons.

Population :
Entre 1724 et 1730, trente chefs de famille étaient présent, représentant environ une centaine d'habitants.
En 1758, Pabos compte 44 maisons, soit environ 200 personnes. Ce qui représente le tiers de la population globale de la Gaspésie à la même période.
Entre 1751 et 1753, le registre paroissial est tenu par le père Simple BOQUET puis jusqu'en 1758, par le père Alexis DUBURON. Ce document est forcément une mine d'informations sur "les baptèmes, mariages et enterrements des églises paroissiales de la Ste Famille de Pabok, de la Baie des Chaleurs, de la Grande Rivière et autres lieux habités de la Gaspésie depuis Echedail (Shediac) jusqu'à Kamouraska, commencé le 21 novembre 1751, contenant 18 feuillets" mais je n'ai pas encore mis la main dessus ! L'eglise et le cimetière étaient installés sur l'ile de Beauséjour dans la baie intérieure de Pabos.

Archéologie :
Des fouilles ont été effectuées depuis 1972. Les premiers sondages ont permis de mettre à jour des faïences d'origine française, du grès du Westernwald et des terres cuites communes à glaçure verte.

Puis des campagnes de fouilles de 1981 à 1988, ont révélé des vestiges de la période préhistorique et amérindienne. La période ensuite représentée est celle qui précède l'occupation française de 1730 à 1758. Les pêcheurs basques et normands ont fréquenté les côtes gaspésiennes sur une base saisonnière bien avant qu'on pense même à s'y installer de façon permanente.

Sources :
Rapport pour la conservation du site archéologique de Pabos classé le 14 avril 1975, rédigé par Michel Gaumond.(le plan de Pabos en 1767 et le texte de la concession sont extraits de ce rapport)
Un livre édité par l'Association des Archéologues du Québec : La baie du Grand Pabos : une seigneurie gaspésienne en Nouvelle-France au XVIIIe siècle de Pierre Nadon

Sur le Net :
Parc du Bourg de Pabos : http://www.bourgdepabos.com/portail.html
Nos racines-Our roots : un site fabuleux avec des documents en ligne formidables : http://www.ourroots.ca/f/home.asp
L'atlas du Canada avec des vieilles cartes. Miam : http://atlas.gc.ca/site/francais/index.html
Une carte de la Nouvelle France à agrandir comme on veut ou presque : http://gallica.bnf.fr/scripts/zoom.php?L=06300710&I=0000001. ATTENTION : ADSL recommandé.
Le site archéologique de Pabos : http://www.mcc.gouv.qc.ca/pamu/champs/archeo/partenai/pabos.htm
La bibliothèque National du Québec : http://recherche.bnquebec.ca/SSOLoginController.jsp
Quebec Heritage : http://www.quebecheritageweb.com/


ANNEXE

Titre du Fief dans la Baye des Chaleurs

Le Sieur Hubert

Louis de Buade, comte de Frontenac, gouverneur et lieutenant-général pour Sa Majesté en Canada, Accadie, Isle de Terre-Neuve et autres pays de la France Septentrionalle ;
Jean Bochart, chevalier, seigneur de Champigny, Noroy et Verneuil, conseiller du roy en ses conseils, intendant de justice, police et finances au dit pays,
A tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut :

Scavoir saisons que sur la requisition à nous faire par le Sieur Hubert de lui vouloir accorder concession de la vière du Grand Pabo, autrement dire la rivière Duval, scituée dans la Baye des Chaleurs, avec deux lieues et demie de front du costé de l'est de la dite rivière, et demi lieue du costé de l'ouest en tirant vers la rivière du Petit Pabos, icelle comprise, sur pareille profondeur ; à quoy ayant égard, Nous, en vertu du pouvoir à nous conjointement donné par Sa Majesté, avons donné, accordé et accordons, donnons et concédons par ces présentes au sit Sieur Hubert la dite rivière sur le terrain mentionné en la manière qu'il est cy-dessus désigné, pour en jouir par le dit Sieur Hubert, ses successeurs et ayants cause, en principal et propriété, à toujours de titre de fief et seigneurie, haute, moyenne et basse justice, avec droit de chasse, pesche et traitte avec les sauvages dans toute l'estendue de la dite concession, à la charge de porter la foy et hommage au château Saint Louis de Québec, du quel il relèvera aux droits et redevances accoutumez suivant la Coutume de Paris suivie en ce pays ; de conserver et faire conserver les bois de chesnes propres pour la construction des vaisseaux du roy ; de donner avis à Sa Majesté des mines, minières ou minéraux, si aucuns se trouvent dans la dite estendue ; d'y tenir feu et lieue et de faire désertes incessamment la dite terre, à peine d'être decheu de la possession d'icelle ; et enfin de laisser les chemins et passages nécessaires pour l'utilité publique : le tout sou le bon plaisir de Sa Majesté, de laquelle il sera tenu de prendre confirmation des présentes dans un an.
En foy de quoy nous les avons signées, à icelles fait et apposer les sceaux de nos armes et contresigner par nos secrétaires.
Fait et donné à Québec le quatorzième de novembre mil-six-cent-quatre-vingt-seize.

Signatures :
Frontenac et Bochart Champigny

Et au dessous sont les deux sceaux, et au-dessous les dits deux sceaux est écrit, par Monseigneur

Hauteville,

Et à costé est encore écrit, par Monsieur,
signature : André Hubert Bégon

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