tatouage natif
Dans notre imaginaire "l'Indien" possède une place particulière empruntée de noblesse sauvage. Nous avons tous en nous l'archétype du guerrier porteur de plumes. En la matière, Christophe Gans, dans le Pacte des Loups, nous en offre une version interessante au travers du personnage de Many joué par Marc Dacascos. Tous les clichés de l'imaginaire participent à la création du personnage : beau, musclé, portant de mystérieux tatouages, le crâne semi-rasé... Même l'armement en arrive à dopter des formes stylisés à l'excès pour nous mener à cette imagge de l'Indien "rêvé". On peut certes avancer que Le Pacte des Loups est un cas cinématographique et que l'oeuvre de Gans appartient avant tout au domaine du fantastique. Pourtant, l'image de cet Indien rêvé n'est pas si isolée. L'ensemble de la production du 7eme Art nous a habitué à des représentations bien codifiées de l'Indien natif de la region des Grands Lacs et des fôrets, lesquelles se sont transmises dans notre vie quotidienne au travers d'expressions liées à la mode : on utilise, par exemple, le terme "à l'Iroquoise" pour une coupe de cheveux. Cette représentation est prise et reprise dans des films de divers réalisateurs :
Le film de Mann, bien qu'ayant ouvert une nouvelle vision du Natif, n'échappe pas aux stéréotypes. Il y a d'une part les Indiens vertueux : Unkas et Chingachook accompagnant le ténébreux Hawkeyes et, de l'autre, les sauvages impitoyables menés par Magua, Huron dévoré par la haine et alliés de circonstance des Français. Le scénario repose, il est vrai, sur l'oeuvre profondément anglophile de Fennimore Cooper et l'adaptation de Mann reste donc sur ce schéma : un film privilégiant le point de vue britannique. Au delà du manichéisme, c'est bien de stéréotypes dont il s'agit : les Indiens accompagnant Magua sont tous Hurons et l'aspect général en est assez simplifié : crâne rasé, peintures "terrifiantes", pagne, casse-tête... L'image, même de qualité, simplifie la silhouette à sa représentation collective au détriment de la réalité historique.Il faudra attendre le film-poème (controversé) de Terrence Malik, Le Nouveau Monde, pour avoir accès à une vision enfin en accord avec la nature profonde des Amérindiens, vision validée par ceux-ci. Le travail de recherche et de re-création nous offre là une des premières réelles tentatives archéocompatibles.
Au delà du cinéma, il faut remonter aux sources historiques pour comprendre comment est née cette image déformée de l'Amérindien des régions qui nous interessent.
Les travaux des érudits des XVIIe et XVIIIe siécles, tels que Laffiteau, Champlain ou Kalm - par exemple - ne sont pas exempts de l'influence du courant de pensée des philosophes et surtout, à l'approche d'un monde hallogène perçu au travers d'un filtre influencé par un espace mental régi par une religion omniprésente. En ce domaine, catholicisme et cultes réformés ne diffèrent guère sur la perception du monde des "Sauvages". Les philosophes s'inscrivant dans la démarche Rousseauïste et sa représentation du "Bon Sauvage" n'ont pas participé à éclairer une culture pour le moins éloigné des valeurs de l'Ancien Monde. Des ouvrages aussi importants soient-ils comme celui de Joseph Laffiteau "Moeurs des Sauvages américians comparés aux moeurs des premiers temps" paru en 1724, ne suivent en rien une démarche logique de chercheurs. Dans ce livre, Laffiteau, érudit certes mais surement pas antropologue, se sert de ses observations pour arriver uniquement à la démontration de la similitude entre Natifs et habitants de l'Europe Antique. Il en est de même pour d'autres auteurs qui interpètent et décrivent des moeurs nouvelles et régies par un autre espace mental. Les descriptions aussi honnêtes soient-elles, portent surtout un jugement à l'aulne des valeurs chrétiennes de l'époque. Il faut attendre la première moitié du XIXe siècle pour qu'un travail scientifique commence au sens où nous l'entendons aujourd'hui. C'est sans doute à John Friedrich Blumenbach, professeur à Gottigen, que nous devons l'invention du premier ouvrage d'antropologie scientifique : "De generis humani varietate nativa". Cet ouvrage influença le premier travail que, pour ma part, je qualifierai de "scientifique" sur les Amérindiens, à savoir les notes de Maximilien, prince de Wied et de Neuwied , sur les tribus vivant aux abords du fleuve Missouri, travail accompagné des exceptionnelles aquarelles de Bodmer. Malheureusement, la parution du compte-rendu de ce voyage en Amérique du Nord ne représente qu'une part infime des travaux encore inédits du Prince sur le sujet. D'autres repésentations des Natifs voient le jour au début du XIXe siècle : les trois volumes de Thomas L. McKenney "The indian tribes of North America with biographical sketches and anecdotes of the principal chiefs" reprenant les portraits des chefs venus à Washington par le peintre Charles Bird King et "l'Indian portefolio" de George Catlin. Les représentations antérieures ne sont pas légion : Théodore de Bry (1590), Bernard Romans (1775) ou sujettes à interprétation comme celles du Jésuite Louis Nicolas (1661-1674). Il ne nous reste, somme toute, comme representations fiables des natifs de l'époque que les portraits de William Verelst (1734), le tableau de Benjamin West en 1770, la petite série d'aquarelles représentants "Abénaquises et Hurons" d'un peinture anonyme et quelques croquis de voyage. Encore faut-il relativiser la qualité des témoignages "directs". Par exemple, à l'étude du petit ouvrage - aujourd'hui conservé aux archives de la Gironde - du Père Claude Chauchetière qui a vécu la moitié de sa vie au Canada parmis les Natifs, on ne peut que s'étonner de la précision par trop approximative des dessins qu'il nous a laissés (ceci fera l'objet d'un autre article sur l'interprétation des sources et les stéréotypes).
Il nous reste donc comme matière de recherche les textes d'époque comme base de compréhension et comme outil d'extrapolation.
Lescarbot, Charlevoix, Le Clerc, Champlain, Kalm... Quels sont les points de convergence ? Que peut-on tirer comme conclusions ? Qu'est-ce qui est, à ce jour, du domaine de la conjecture ou de la preuve antropologique ? Heureusement d'un point de vue sociologique et historique, des ouvrages étayés nous ont apporté des renseignements utiles comme les travaux de Bruce Trigger ou plus récemment celui d'Arnaud Balvay sur le tatouage en Nouvelle France "La Mémoire sur la Peau". Nous avons décidé de commencer une série d'Expositions Temporaires sur le sujet des Natifs en Nouvelle France afin de tenter de faire le point. Voici donc la première exposition que nous vous proposons sur le vaste sujet des "Sauvages" - appellation commune au XVIIIe siècle.
Une des premières impression qu'ont eu les voyageurs et les auteurs de textes des XVIIe et XVIIIe siècles est liée à l'aspect des Natifs de la Nouvelle France et des Amériques. Le corps étant un support de représentation, la pratique du tatouage et des scarifications est, semble-t'il, suffisamment courante pour avoir interpellé tous ces auteurs.
Notre première démarche a été de collecter les représentations de ces tatouages sur l'ensemble des oeuvres à notre disposition et de les reprendre. Pour l'une d'entre elle, nous avons tenté une interprétation. Bien entendu, ce travail n'a nullement la pretention d'être exhaustif et il fera l'objet de rectification en fonction de l'apport de nouvelles sources.
Motifs "Animaux"
Signatures du Traité de la Grande Paix - types de graphismes que l'on retrouve également en tatouage.
Crevette - Loutre
Oiseau "Tonnerre"
Patte d'ours
Serpent
Tortue
Motif "Anthropomorphe"
Motifs "Astronomie"
Motifs "Géométrie"
Motifs "Chrétiens"
Exemples de Reconstitution
Une interprétation possible d'un "tatouage" qui pourrait ne pas en être un...
Notre réalisation en 3D
Bibliographie
La Mémoire sur la Peau - Arnaud Balvay -
L'Epée et la Plume - Arnaud Balvay - ISBN : 2-7637-8390-2
Affiquets, Matachias et Vermillon - Marc Laberge - ISBN : 2-920366-26-2
Indian Costum at Mackinac XVIIth and XVIIIth centuries - Dirk Grinhuis
Indian Social Dynamic in the Period of European Contact- Robert Mainfort
The Woodland Indian of the Western Great Lakes - Robert Rizenthaler
Les Indiens, la Fourrure et les Blancs - Bruce Trigger
The Indians Tribes of North America with Biographical Sketches and Anecdoctes of the Principal Chiefs" - Thomas L. Mac Kenney
Histoire Naturelles des Indes Occidentales - Louis Nicolas - 1661
Histoire des Peuples Sauvages qui sont alliés de la France - Claude-Charles Bacqueville de la Potherie - 1722
Journal de Voyage - Perh Kalm, traduit et analysé par L.W. Marchand - 1880
Les Tribus Indiennes de la Région de la Vallée du Missouri - Nicolas Perrot - traduit en anglais d'Emma Blair
Carnets et Oeuvres de Samuel de Champlain - édité par l'Abbé C.H. Laverdiere - 1870
Moeurs des Sauvages Américains comparées aux moeurs des Premier Temps - Joseph Lafiteau - 1724
Indian Portfolio - George Catlin
Dessins - Louis Nicolas
Article sur les Tatouages paru dans Muzzellader - John Bellue