La Marechaussee en Nouvelle France
Introduction
Dans toutes les provinces du Royaume de France, la justice et son bras armé
étaient présents. Le Canada et la Louisiane durant la présence française
n'échappèrent pas à cette règle. L'application de la Justice
dépendait de réglementations dites «Coutumes»(1). Celle de Paris fût appliquée dans les deux provinces
d'outre Atlantique.
La tentation peut être grande de croire que les règles régissant la
société française furent oubliées au Canada et en Louisiane.
Pourtant les femmes et les hommes qui peuplèrent cet immense territoire étaient
avant tout Français. Si les contraintes dues à la situation géographique
obligèrent à aménager quelque peu les habitudes de vie de nos ancêtres,
il ne faut pas imaginer que dans le domaine judiciaire la Nouvelle France connut
un statut particulier. La seule différence notable est l'immensité du territoire
qui posa de nombreux problèmes pour sa mise en application par les gouverneurs
successifs.
Si de nombreux magistrats officièrent de Québec à la Nouvelle Orléans,
c'est bien au bras armé de la justice que revint comme partout sur le territoire
français la dure mission de son application. Durant presque 200 ans les «
archers et exempts » de la Maréchaussée participeront à l'aventure
de la Nouvelle France.
Nous espérons que ce bref survol fera découvrir au plus grand nombre l'histoire
méconnue de ces soldats outre-Atlantique.
Bref historique du corps
Pour bien comprendre le sens des missions de la Maréchaussée, il est
nécessaire de remonter aux sources de celle-ci.
C'est, semble t'il, au XIIème siècle que sous l'impulsion du roi Philippe
Auguste, un corps de soldats armés devint auxiliaire de la justice royale. Cette
décision fut prise en 1190 avant le départ du roi en croisade. Les «
sergents d'armes » prêtant main forte aux prévôts furent rattachés
à l'autorité du plus grand officier de la couronne, le Sénéchal.
Durant la période médiévale, ce nouveau corps se développa et
acquit de plus en plus d'autonomie sous le contrôle des connétables et
des maréchaux. Rapidement «le corps des maréchaussées» se
multiplia dans les provinces du royaume pour surveiller dans un premier temps les
excès et abus des gens de guerre.
En 1464 suite aux demandes insistantes des provinces et afin de seconder la justice
royale, Louis XI dota les prévôts provinciaux d'archers pour l'éxécution
des missions de justice.
Du XVIème au XVIIème siècle, les maréchaussées fonctionnèrent
en autonomie entraînant de nombreux excès. Les statuts particuliers se
multiplièrent dans les provinces du royaume. Il fallut attendre les premières
années du XVIII ème siècle pour qu'une réforme du corps paraisse
enfin indispensable. L'année 1720 sera le tournant décisif.
Organisation
La réforme de 1720 regroupa et ré-organisa les compagnies en un
corps unique : «les Maréchaussées du royaume de France». Cette
nouvelle unité fut entièrement soumise la tutelle royale, soumise à
sa volonté. L'édit de 1720 créa immédiatement 30 compagnies dans
les généralités ou départements. Chacune était constituée
«d'un prévôt général, de lieutenants, d'assesseurs, procureurs,
greffiers, exempts, brigadiers, sous-brigadiers, archers et trompettes ».
Les compagnies comprennent deux types d'hommes : les officiers et la troupe.
Les officiers furent recrutés à la condition qu'ils soient «expérimentes
au fait des armes, dont la fidélité et le zèle nous serons connus».
Ils devaient «êtres capables et {...} ayant servis au moins 4 années
de suite dans nos troupes»
Pour les exempts - officiers subalternes - l'accès au grade supérieur est
possible à l'interne après 12 ans de service, dont 6 en qualités de
quartier-maître, porte-étendard, porte-drapeau ou 8 en qualité de
brigadier ou sous-brigadier de la Maréchaussée.
Des conditions de limite d'âge furent instaurées pour l'accès à
la charge de membre de ce corps : avoir moins de 35 ans.
Les cavaliers doivent mesurer au moins 5 pieds, 4 pouces (1,75 m). Cette disposition
perdurera jusqu'à la fin de l'ancien régime et même pendant le Premier
Empire puisque, lorsque le corps aura pris le nom de Gendarmerie Impériale,
la taille requise sera aussi de 1,75 m.
Néanmoins les qualités physiques et le fait d'avoir servi dans l'armée
de façon exemplaire ne pouvant suffire, des aptitudes intellectuelles étaient
indispensables et à partir des années 1750, les hommes devaient savoir
«lire et écrire». Les places de sous-officiers étaient réservées
«aux cavaliers les plus instruits et de la meilleure conduite».Le manque
de bienséance et l'ébriété étaient sévèrement
sanctionnées.
Les exempts et cavaliers reçoivent une solde suffisante pour «qu'ils soient
en état de servir continuellement ». Mais il faut dire que nombre d'archers
furent obligés de tenir auberge avec leur épouse puisqu'un des privilèges
accordé à la charge était l'exonération d'impôts sur les
boissons aux barrières d'octroi.
La vérité du terrain était toute autre et les moyens des membres du
corps sont tout à fait limités comme le prouvent les nombreuses ordonnances
royales successives. Il faut noter que ces problèmes furent encore plus criants
en Nouvelle France.
L'achat du matériel indispensable à la bonne exécution des missions
étant à la charge des hommes de l'unité, nombreux étaient ceux
cédant à la tentation d'utiliser des moyens de substitution. Bien que le
règlement stipule que l'homme devait posséder une monture de force et de
taille convenable pour soutenir le service, beaucoup de chevaux étaient loués
quand le besoin du service s'en faisait sentir. Cette déplorable habitude fut
particulièrement prise au Canada.
Les archers de la Maréchaussée ont obligation de loger à proximité
de la caserne ou dans celle-ci, tenant prêt les montures et l'équipement.
Ils doivent être disponibles sur simple injonction sauf lors de congés
qui, dans l'unité, sont exceptionnels.
Il ne faut pas confondre au XVIIIème siècle les corps de « gendarmes
» - littéralement gens d'armes - cavaliers lourdement armés - et la
Maréchaussée, ancêtre de nos gendarmes actuels.
Paiement de la solde
La tradition voulait que les compagnies fussent payées non sur le trésor
royal, mais supportées
par les provinces. Ce fait explique en partie le peu d'enthousiasme des cavaliers
à servir en Nouvelle France, la province connaissant de sérieux problèmes
financiers.
Missions
Dès le début de l'installation dans les territoires de la Nouvelle
France, les gouverneurs successifs eurent à leur disposition des archers de
la Maréchaussée dans les centres urbains patrouillant d'un poste à
l'autre. Partout dans le Royaume, ces hommes furent appelés « les Juges
Bottés ». La diversité des missions auxquelles ils étaient assignés
allait du simple transfert de prisonniers à de véritables enquêtes
policières les menant d'un bout à l'autre de la colonie tant à cheval
qu'en canoës.
Missions de police. La Maréchaussée
s'informe sur les crimes et délits et met en oeuvre la traque et la capture
des délinquants et des suspects. Elle doit protéger les bons sujets : «Assurer
la liberté de nos sujets desdites provinces, allant et venant par la campagne
à leurs affaires et commerces, y empêcher les violences, vols et brigandages
qui accoutumé de s'y commettre».
Le moyen utilisé est la tournée et la chevauchée. Les tournées
quotidiennes servent à la surveillance des chemins et particulièrement
aux débordement éventuels de soldats en congés. Elles s'effectuent
en campagne et en ville. Les fêtes, foires et marchés sont également
l'objet d'attentions particulières
La Maréchaussée effectua une présence continuelle dans les agglomérations
importantes de la colonie: Québec, Montréal, Louisbourg, la Nouvelle Orléans.
Les hommes ont obligation d'effectuer les tournées par deux sur les chemins
et dans les diverses paroisses.Chaque soir ils remplissent un journal de tournée.
Missions de protection des personnalités
et des missions de l'Intendant et contrôle durant les exécutions.
Effectifs
En Nouvelle France comme dans les autres provinces, les membres de la Maréchaussée
effectuèrent les mêmes missions mais avec plus de difficultés. Les
hommes déjà engagés en France acceptant difficilement de partir aux
Amériques, le recrutement local ne donna jamais de très bon résultat
compte tenu du peu de popularité des archers auprès des autres soldats.
Il faut dire que la capacité des membres de la Maréchaussée à
réquisitionner des surnuméraires dans les autres régiments et ce sans
protestation possible des officiers des-dits corps n'augmentait pas cette sympathie.
Le faible nombre des hommes poussèrent les gouverneurs successifs à demander
sans cesse et souvent sans résultat des effectifs supplémentaires. Jamais
ils n'obtinrent satisfaction compte tenu du peu d'intérêt de Versailles
pour l'Amérique après les règnes de Louis XIV et du Régent (2).
Au XVIIIème siècle comme au précédant, ce corps d'élite
ne compta jamais beaucoup de membres, les conditions d'entrées demandant énormément
de contraintes tant morales que militaires. Le manque d'effectifs jamais à la
hauteur des besoins en France métropolitaine, devint carrément ingérable
sur l'immense territoire allant du Saint Laurent à l'embouchure du Mississippi.
Cette cruelle pénurie d'archers obligea ceux-ci à réquisitionner des
membre des troupes de Compagnies Franches de la Marine pour les assister. L'effectif
total en Amérique ne dépassera jamais la vingtaine de cavaliers, officiers
compris.
Le pouvoir décida d'augmenter les brigades, afin «de multiplier les résidences
afin qu'elles puissent se porter avec la plus grande promptitude dans les endroits
où il sera question de rétablir la sûreté et la tranquillité
publique». Malheureusement cette ordonnance datant de 1769, la Nouvelle France
n'en profita jamais.
La maréchaussée est composée de soldats appelés « archers
» et «d'exempts» officiers moyens (hiérarchiquement s'entend)
assurant la transition entre la troupe et les officiers supérieurs.
Ce manque de «cadres» s'explique par le fait qu'un simple archer a toujours
le pas sur un supérieur en grade d'une autre unité. Un exempt étant
l'équivalent d'un lieutenant ou d'un major dans une autre unité, ce grade
finira d'ailleurs par disparaître quelques années plus tard sous le ministère
de Choiseul.
Les brigades importantes de Maréchaussée sont le plus souvent constitué
de 4 archers, un brigadier ou sous-brigadier et un exempt, nombre tout à fait
théorique rarement appliqué en France et jamais outre-Atlantique. Siège
de l'autorité royale, Québec fut, semble t'il, mieux pourvu : entre 6 et
10 hommes. La place forte de Louisbourg pourtant d'une importance stratégique
considérable ne compta régulièrement que 2 hommes .
Uniforme
Les sources iconographiques sur la Maréchaussée au Canada et en Louisiane sont à ce jour inexistantes. La seule représentation d'un « archer » est due au peintre Francis Back, mais bien que le soldat représenté soit membre d'une force de police, il s'agit d'un archer appartenant au corps de la Marine et assurant la sécurité sur les navires de guerre. S'il arrivait qu'ils fussent chargés de missions de police dans les zones portuaires, ils ne doivent être en aucun cas confondus avec leurs collègues de la Maréchaussée.
La première différence notable est la couleur de l'uniforme. Les archers
de la Marine portent la veste, la culotte et les bas rouges. Le justaucorps quand
à lui peut être sujet à confusion car comme pour la Maréchaussée
il porte les mêmes distinctives : justaucorps bleu à parements rouges.
Mais le corps des archers de la Marine n'étant pas un corps d'élite, le
chapeau est bordé d'or.
L'uniforme de l'archer de la Maréchaussée restera le même de 1720
à la capitulation des forces françaises et leur départ.
Selon l'ordonnance, les archers sont vêtus « d'un juste au corps de drap
bleu doublé de rouge, parements rouges, avec le bouton façon argent et
d'une aiguillette de soie blanche, le chapeau bordé d'argent ». Les manches
des brigadiers et sous-brigadiers s'ornent «de ganses d'argent à queue
». L'habit des exempts et officiers sont gansés sur le devant et sur toutes
les boutonnières. La veste est « de chamois ou de drap de couleur chamois
»
Si la base de l'uniforme était fourni, néanmoins les hommes devaient à
leurs frais fournir :
L'uniforme devait être « taillé assez large pour que le cavalier
puisse l'agrafer aisément sur la poitrine et porter une veste sans qu'il soit
gêné ». L'ensemble est « boutonné {...} assez long
et arrive à 4 pouces de terre celui qui le porte étant à genoux ».
Le chapeau est « de forme profonde, dont les ailles seront coupées en rond
exact et bordées d'un galon argent de 16 lignes, elles seront retroussées
par des agrafes ».
Les cheveux doivent être portés en queue de cheval avec frisure possible,
limitée à une boucle à chaque face, donc pas de perruque à doubles
marteaux même pour les officiers.
En service habituel, la guêtre en cuir dans le style des dragons ou la botte
souple à chaudron sont de rigueur. En service à pied, les guêtres
sont noires et la couleur des bas est bleue.
Le chapeau quant à lui porte le galon argent destiné aux unités d'élite
(ce port s'est perpétué jusqu'à nos jours dans la gendarmerie nationale)
En Nouvelle France le port de l'uniforme fut plus qu'aléatoire mais il en était de même en France métropolitaine. Il fut si difficile à obtenir qu'en 1778 le pouvoir publia une ordonnance donnant obligation de le revêtir.
Il semble que sur le territoire de la colonie, les hommes de la Maréchaussée
empruntèrent aux archers de la Marine le port de la banderole Bleu de France
parsemée de lys et d'ancres de marine. Cette supposition dans l'état actuel
de nos connaissances me semble sujette à caution : je pense que la banderole
ne comportait pas d'ancres de marine mais uniqument des lys comme symbole du pouvoir
royal. Et en toute connaissance de cause, la silhouette des archers était suffisamment
connue de la population de France, qu'elle soit métropolitaine ou canadienne,
pour ne pas avoir besoin d'un signe distinctif supplémentaire.
Reconstitution
A ce jour et à ma connaissance, il n'existe que deux uniformes reconstitués
de membre de la Maréchaussée en Nouvelle France. Un de ceux ci ( avec moi
dedans ! ) a participé au grand rassemblement de Louisbourg, organisé par
Parc Canada en 1999 au grand étonnement de tous et suscitant moultes questions
de nos amis américains qui m'ont affirmé n'en avoir jamais vu.
Attention : les bas devraient être bleus
Petite mise au point...
Il faut tordre le cou à une affirmation courante dans le milieu des reconstitueurs
qui voudrait que les membres des Compagnies Franches de la Marine furent en charge
de la police au Canada,
Il arriva que sur demande des gouverneurs, les Compagnies remplirent des missions
de police, mais à titre exceptionnel et seulement en l'absence de membres de
la Maréchaussée. Si elles représentèrent un nombre non négligeable
de l'effectif militaire de la Nouvelle France, elles ne peuvent en aucun cas prétendre
au titre de « régiment représentatif » de l'épopée
de Amérique française.D'autres corps comme le « Royal Etranger »
eurent également à prendre en charge certaines missions de police.
(2)Document
Lettre du Gouverneur au roi Louis XV lui demandant de bien vouloir fournir à
la colonie des membres de la Maréchaussée pour faire face aux manques.Retour au texte
Pour en savoir plus...
La seule étude exhaustive sur la Maréchaussée est celle
de Jacques Lorgnier, chercheur au CNRS : Les Juges Bottés
- Maréchaussée, histoire d'une révolution judiciaire et administrative en deux tomes parus aux éditions de l'Harmattan en 1994 - ISBN : 2-7384-3061-9
Cet ouvrage unique est une véritable bible sur le sujet.
Il faut également signaler le Musée de la Gendarmerie,
situé à Melun dans le département de Seine et Marne (77). Ce musée
unique est en grande partie le résultat du travail exceptionnel de l'adjudant
Duplan, véritable passionné de l'histoire de l'unité. Un centre de
documentation existe aussi. Les visites s'effectuent sur rendez-vous.
La Maréchaussée est brièvement évoquée dans l'ouvrage intitulé Le Patrimoine Militaire Canadien en trois tomes
que vous pouvez vous procurer à la librairie «Armes et Collections»
à Paris, boulevard de la République.
(1) Nous reviendrons dans une prochaine exposition temporaire
sur le contenu des «Coutumes», éléments indispensables pour bien
comprendre le fonctionnement de la vie quotidienne au sein des provinces du royaume
de France.Retour au texte